Salut Sepa,
Sepadrole a écrit :Et quand j y suis allée quelques semaines plus tard, je voyais relativement comme avant.
"Quelques" semaines, ça commence à être intéressant : si tu étais allée consulter dès l'apparition des premiers symptômes visuels, l'ophtalmo... n'aurait très probablement rien vu. Mais quelques semaines plus tard, la cicatrisation commence à devenir visible, à la hauteur de la jonction entre le nerf optique et le globe oculaire (on appelle ça la papille). L'ophtalmo ne t'a donc pas fait un fond d'œil ??? La névrite que j'avais faite, très légère comme la tienne, j'avais attendu deux ans pour en parler à mon neuro (ce qui correspondait à l'époque, grosso-modo à la fréquence de nos rencontres) : dix minutes et un fond d'œil lui avaient été amplement suffisants pour caractériser pleinement la chose.
Malgré de nombreuses lesions, tu n'as pas fait beaucoup de poussées toi aussi.
Six en tout, février 93, juin 95, octobre 95 (diagnostic, IRM), juin 97, printemps 99 (à la louche : c'était la névrite, le souvenir est vague), décembre 2000 (re-diagnostic, Re-IRM) (ayant vécu dans trois pays différents, j'ai été diagnostiqué dans chacun de ces pays).
Donc si je comprends bien, la seule chose significative est l'installation (ou non) d un handicap.
Heu....
C'est juste une vision personnelle hein, c'est purement subjectif : comment tu vois les choses, toi, entre faire des poussées régulières et avoir des IRM toutes pourries, mais sans aucun handicap notable, ou le contraire ?
Ce qui interviendra (ou pas) quand PIRA ne sera plus compensé par le système nerveux.
En fait la neurodégénérescence est un phénomène courant dans la population générale, mais qui est alors le plus souvent lié tout simplement à l'âge. La différence entre la "population générale" et celle des sépiens, c'est que son rythme est,
en moyenne, de l'ordre de deux fois plus rapide chez les sépiens et que par conséquent, le sépien moyen arrivera plus vite à court d'options que le
vulgue homme Pécusse. Tout ceci ne sont, comme presque toutes les connaissances qu'on a à propos de la sep, que des connaissances
statistiques, qui ne disent pas grand chose de ce qu'il va advenir de chaque patient individuel. Tu liras ou entendras souvent la formule "autant de sep que de sépiens", qui résume très bien la chose : si on sait très bien deviner comment va évoluer, au fil du temps, l'état de santé
moyen d'une cohorte de sépiens, on est en revanche incapable de dresser le moindre pronostic individuel. Si ta neurologue prétend le contraire, change de neurologue

.
Cette impossibilité de dresser le pronostic spécifique à chaque patient est à confronter au plus grand sérieux avec lequel on prétend être capable de mesurer l'efficacité, pour un patient déterminé, du traitement qu'on lui a administré. Soit un patient quelconque, diagnostic de SEP, il part d'un EDSS de 1.0, on lui colle un traitement de fond de pulver perlimpimpinum et cinq ans après son EDSS est évalué à 3.0. Le traitement,
dans son cas particulier a-t-il été efficace, ou inefficace ? Impossible à dire, car on n'a aucune idée (et on n'en aura jamais aucune) de comment ce même patient aurait évolué dans cette même période, que ce soit avec un autre traitement, ou sans traitement du tout.
Prétendre que le traitement a été efficace revient forcément à dire que sans traitement, le patient se serait retrouvé au bout de cinq ans, à un EDSS supérieur à 3.0. Ce qui part alors
nécessairement du présupposé qu'on était capable de prédire
au moment du démarrage du traitement, ce que serait l'évolution future de ce patient sur les cinq années à venir... et aboutit à une contradiction formelle absolue avec l'imprédictibilité de chaque pronostic individuel. On se contentera juste de noter que l'évolution du patient aura été meilleure, ou moins bonne, que l'évolution
moyenne des sépiens, mais la chose ne permet en aucune manière d'en déduire l'efficacité ou l'inefficacité du traitement, puisque ce n'est pas à l'évolution moyenne des sépiens qu'il faut la comparer : à l'échelle individuelle de chaque patient, aucun élément ne démontre qu'une évolution différente de "la moyenne" n'a pas une ou plusieurs causes tout à fait indépendantes du traitement de fond.
Mais si les traitements ne sont efficaces que sur RAW, comment peut on expliquer qu on dise que leur évolution permette désormais de retarder l apparition du handicap ? C est qu on confond la diminution des poussées et l installation du handicap ?
PIRA (la neurodégénérescence) est responsable de l'accumulation de l'essentiel du handicasp. RAW (la composante inflammatoire, les poussées) reste de son côté responsable d'une petite partie de cette accumulation. Quand Catherine Lubetzki dit que les immunothérapies n'ont qu'une influence
modeste sur l'accumulation du handicap, ça reconnait l'existence de cette influence. Mais elle reste
modeste.
Alors je m'étais amusé il y a peu à mesurer l'étendue de cette modestie

, ici-même, mais je ne sais plus dans quel topic. Heureusement j'avais fait un petit graphe, que j'ai toujours sous le coude (la source de ce graphe en était une étude toute récente, menée dans les règles de l'art par des neurologues admirés par leurs pairs et publiée dans une revue prestigieuse à comité de lecture ; si tu insistes lourdement, j'arriverai à te retrouver la publication d'origine

). Voici ce graphe :

- EDSS.jpg (65.61 Kio) Vu 5097 fois
Il présente l'évolution moyenne des patients sous traitement (T, en bleu), vs. l'évolution moyenne des patients sans traitement (NT, en rouge). Il y a une différence visible entre les deux ; mais cette différence reste effectivement, comme l'observe Lubetzki, modeste. Deux exemples :
- L'EDSS 4.0 (premières difficultés sensibles à la marche, avec réduction du périmètre de marche sans aide ni repos à 500 mètres) est atteint au bout de +/- 8 ans 1/2 chez les NT, au bout de +/- 12 ans chez les T. Sans oublier que les T sont déjà à un EDSS 3.0 quand les NT arrivent à un EDSS 4.0, ce serait une grave erreur de se les représenter comme gambadant encore comme des cabris.
- L'EDSS 6.0 (aide unilatérale, par exemple une canne, nécessaire pour espérer parcourir un maximum de 100 mètres) est atteint au bout de +/- 18 ans chez les NT, contre +/- 21 ans chez les T (on remarque que l'écart entre NT et T, qui était de 3 ans 1/2 pour atteindre l'EDSS 4.0, n'est déjà plus que de 3 ans : plus tu vieillis, moins les traitements sont efficaces). Quand les NT arrivent à l'EDSS 6.0, la différence d'EDSS entre T et NT n'est même plus d'un point, car pendant que les NT ont besoin d'une canne pour espérer parcourir 100 mètres, les T sont entre 5.0 (capables de marcher environ 200 mètres sans aide ni repos) et 5.5 (capables de marcher 100 m sans aide ni repos).
Au bout de vingt ans de maladie, c'est donc la canne (qui en moyenne -- mais pas forcément pour chaque cas individuel, loin de là -- arrivera inexorablement même si tu as pris un traitement pendant toute ta vie de sépienne, mais elle arrivera simplement trois ans plus tard : au bout de 21 ans au lieu de 18) qui fera toute la différence entre le fait que tu auras pris un traitement de fond pendant tout ce temps, ou pas. Comprends-tu mieux la
modestie de la chose ? Les effets des traitements sont réels, indiscutables, mais il serait quelque peu exagéré de prétendre qu'ils cassent des briques...
Est ce vrai qu'en vieillissant, la maladie n est plus active et que le handicap ne progresse plus ?
Absolument pas, hélas
Ce qui cesse avec le temps / avec l'âge, c'est l'activité inflammatoire (RAW) : au bout d'un certain temps, le plus souvent entre cinq et vingt ans après le premier épisode, tu ne feras de toute façon plus de poussées. Mais l'activité neurodégénérative sera toujours présente, et d'autant plus que son travail de sape commencera à peu près vers cette période à avoir épuisé les échappatoires du système nerveux central (c'est en général vers ce moment que tu te fais diagnostiquer en forme "secondaire progressive"). Or c'est PIRA qui reste responsable de l'essentiel de l'accumulation du handicap. Cette neurodégénérescence se poursuit pendant toute ta vie de sépienne. Il arrive qu'elle connaisse des paliers, son rythme n'est pas forcément régulier, mais globalement le feu continue à couver toute ta vie.
Est ce que par exemple toi qui n a plus fait de poussées depuis un moment, tu pourrais rester désormais au même EDSS ?
Oui, c'est une possibilité qui,
dans mon cas, devient de plus en plus vraisemblable : j'ai connu une composante RAW un peu violente mais relativement brève (8 ans), à la suite de laquelle mon EDSS était estimé à 1.0 (EDSS 1.0 : à l'examen clinique, le neuro voit en dix secondes "qu'il y a quelque chose", mais ça s'arrête là). Aujourd'hui, mon EDSS est toujours à 1.0, ce qui me permet d'espérer que ma composante PIRA, qui est donc la seule à l'œuvre depuis douze ans, est beaucoup plus débonnaire que l'avait été ma composante RAW.
Chez une proportion de sépiens toutefois (les estimations de cette proportion sont paradoxalement souvent contradictoires, disons une petite moitié des formes initialement rémittentes), PIRA sera suffisamment agressif pour entraîner l'accumulation de handicap supplémentaire en dehors de toute poussée. C'est là que le patient se verra diagnostiquer en forme secondaire progressive : quand tu cesses de faire des poussées, c'est une autre partie qui commence, contre laquelle les traitements actuels sont de toute façon inefficaces.
Tu sais, je suis un peu perdue. C est tout neuf. J essaie de positiver. Je me dit qu avec un traitement, je peux peut etre espérer rester active encore très longtemps et m occuper de mes enfants, de mes parents et qui sait, de mes petits enfants. J aurai vraiment voulu un troisième enfant, je ne sais pas si cela sera possible désormais. Est ce que je rêve toujours ?
Juste fais-le !!

Mais dans ce cas, choisis bien quel traitement de fond tu prendras, car certains ne sont pas envisageables avec une grossesse. Beaucoup des choses qui viennent pourrir la vie quotidienne des sépiens ne sont pas à imputer à la sep, mais aux traitements qu'ils prennent -- ceci en est un exemple classique, certains traitements sont réellement à proscrire dans le cadre d'un désir d'enfant.
D'après ta description, je décèle une réelle lueur d'espoir, qui est que tu as complètement récupéré d'une poussée pourtant particulièrement invalidante. Or la capacité de récupération à l'issue d'une poussée est
essentielle (vraiment ballot qu'elle ne soit jamais mesurée dans les critères d'efficacité des traitements...) et ce n'est pas tout le monde qui va récupérer totalement à l'issue d'une poussée. Toi si. J'ai depuis longtemps tendance à interpréter cette capacité de récupération, au début de la maladie, comme un signe de l'intensité de PIRA chez le patient : si tu récupères totalement ou presque, alors PIRA serait peu agressif chez toi ; si en revanche ta récupération était moins bonne, alors PIRA serait plus agressif. Mais cette façon d'envisager les choses est parfaitement empirique, intuitive, de ma part, et de toute façon je rappelle que le pronostic individuel de chaque patient est impossible

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Je suis maîtresse d école je vois plus de 100 enfants différents par semaine. Je ne sais pas si du point de vue immunitaire c est censé. En même temps, je n ai pas envie de mettre fin à des choses qui me plaisent avant même d y être obligée. Mon poste me confère également beaucoup d avantages comme un temps de travail de 26h devant élèves et des vacances bien plus longues que la plupart des gens pour se reposer..
Particularité fréquente de la sep : elle touche en général de jeunes adultes (la mienne a été diagnostiquée quand j''avais 27 ans, la tienne c'est donc 35 ans), qui ont la vie devant eux et plein de projets dans la tête, et là paf, le diagnostic vient faire table rase de toutes les douces certitudes dont tu pouvais te bercer jusqu'ici. Il va maintenant te falloir passer par cette évolution psychologique un peu obligée, qu'on appelle la phase d'acceptation de la maladie (étapes classiques dans le deuil : choc, déni, colère, négociation, dépression, etc., sauf qu'ici c'est de ton ancienne vie que tu devras faire le deuil). Mais ça n'est pas parce que tu ne retrouveras jamais ton ancienne vie, que la nouvelle devrait être pire que l'ancienne. Il faut changer ta façon d'aborder l'existence, en fait, pour partir à la recherche de ton "moi profond".
D'ailleurs tiens au fait, qu'entends-tu par "je ne sais pas si du point de vue immunitaire c est censé" ?
Et puis subsitent ces questions sur l inflammation. Je mangeais mal, je ne buvais pas d eau, je suis sujette à l acné. J ai eu des kystes. J étais très/trop active. Toujours prête à tout prendre sur moi. Je me mettais aussi facilement en colère et je pouvais ruminer longtemps. Quand on m a dit c est inflammatoire. Ça a fait sens tout de suite. Ya pas le feu.... si en fait.
Moui, vu que personne n'a la moindre idée de ce qui peut causer la sep, le patient a souvent tendance à chercher "ce qu'il a pu faire de mal" dans sa vie antérieure pour "mériter ça". J'imagine que ça aussi, c'est une étape un peu obligée. Qui n'est pas forcément inutile, d'ailleurs

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Alors c est compris mais dans quelles mesure puis je maintenant m aider ? Comment faire au mieux ? On doit tous se poser cette question et je nous souhaite à tous de trouver les réponses.
Vaste débat. "S'aider" a ceci de positif que le patient décide d'affronter sa pathologie, c'est à dire de ne pas baisser les bras devant elle. Ne jamais baisser les bras est, selon moi, essentiel.
Mais : il y a plein de gens ici qui n'ont jamais baissé les bras non plus, et dont la sep est, malgré leur efforts, franchement teigneuse. Quand j'affronte ma sep, c'est difficile à dire mais c'est au sens d'un jeu, ou d'une négociation : je n'ai jamais considéré ma sep comme une ennemie à abattre, mais comme une adversaire, et la plus coriace des adversaires avec ça. La plus coriace, car je pas du principe que ce sera toujours elle qui aura le dernier mot, que je ne suis rien devant elle. Il est fréquent que je la remercie intérieurement de me foutre la paix, je n'oublie jamais qu'elle est là.
Je me dis tous les jours que ça aurait pu être pire et je tire de la force de cela mais parfois je me dis aussi que ce n est peut être qu un délai avant que les choses ne le deviennent vraiment.
Oui : "peut-être". Tu vis désormais avec une épée de Damoclès au dessus de ta tête. Cependant, si tu penses calmement à la chose, tu comprends vite que c'est tout le monde, qui qu'il soit, qui vit avec une épée de Damoclès au dessus de sa tête. Simplement, la plupart des gens n'en ont aucune conscience. Tu peux envisager ça comme une conscience supérieure, qui pourra même te faire voir la vie plus belle que tu ne la voyais jusqu'ici : tirer le meilleur profit de chaque jour, vivre chaque jour comme si c'était le dernier, carpe diem, etc. (c'est un peu bateau ce que je te raconte, mébon

).
Ne laisse pas ta sep t'empêcher de vivre tes projets : elle va déjà bien assez te pourrir la vie comme ça, n'en rajoute pas

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A tout bientôt !
Jean-Philippe.