Salut Estelle,
Estelle Sepaouf a écrit :Ah si clairement ! Puisque le tout premier neuro que j'ai vu à Paris m'a dit clairement qu'il serait préférable que j'attende un peu de voir comment la maladie évolue pour penser à faire des enfants, "parce que vous comprenez vous risquez de faire de grosses grosses poussées après l'accouchement" !
Monsieur avait le sens de l'humour

.
Il y a effectivement un surrisque de poussée dans les trois mois qui suivent l'accouchement, mais d'une part un risque n'est pas une certitude, d'autre part une poussée qui survient dans cette période n'est (statistiquement) pas plus sévère que les autres, enfin ce surrisque de poussée après l'accouchement est compensé par un risque
minoré pendant la grossesse, ce qui fait que quand on considère la période complète grossesse + 3 mois suivants, le risque de poussée est le même que sur une période d'un an sans grossesse.
Surtout, s'interdire d'avoir des enfants ressemble fort à s'interdire de vivre. Quand on commence à laisser sa sep s'interdire de vivre, ... bref.
Têtue que je suis je me suis dit "suspicion = pas sur = pas malade" ! J'ai rien attendu du tout, je suis tombée enceinte dans le mois qui suivait cette conversation

et j'ai jamais rien eu après les accouchements, meilleure décision ever !
Voilà : ce n'est pas parce qu'une observation est vraie du point de vue statistique, qu'elle dit quoi que ce soit à propos de chaque cas individuel. Une des règles de base avec la sep.
Aucune idée, tu penses bien que je ne suis jamais retournée le voir

[...] Ouaip, elle me suis actuellement... mais je pense que je vais en chercher un autre !
Le choix du neuro n'est pas chose facile. Comme j'ai vécu dans trois pays différents depuis mon diagnostic, j'ai eu autant de neuros, un par pays (France, Royaume-Uni, Suisse). Le premier était une jeune pousse de la Salpé, spécialisé sep et futur grand ponte ; le deuxième un vieux m'as-tu-vu prétentieux ; la troisième une simple neuro de ville. Aucun des trois ne m'a tenu un discours ne serait-ce que vaguement comparable à celui des autres. Ca fait réfléchir sur la profonde subjectivité de la profession de neurologue

. C'est avec le premier des trois que je me suis, de loin, le mieux entendu, au point que j'allais le revoir de loin en loin pour lui demander son avis les rares fois où j'avais un
cas de conscience à résoudre au sujet de ma sep. Si j'avais une seule recommandation au sujet du choix du neuro, enfin plutôt deux, ça serait donc d'en choisir un qui exerce en milieu hospitalier et qui est spécialisé sur la sclérose en plaques -- tous ne le sont pas, loin de là.
Puisqu'on parlait de grossesse un peu plus haut, il faut savoir que la première contre-indication à une grossesse quand on a la sep, et de trèèèèès loin, n'est pas la sep mais... le traitement. Et à propos du traitement, une autre observation le concernant est qu'il est d'autant plus efficace qu'il est administré précocement dans la pathologie. Ce qui est une autre façon de dire que plus tu attends, moins il est efficace. Or toi, tu en es à près de vingt ans.
Je précise ce que j'entends par l'efficacité des traitements : la seule efficacité qui leur a été mesurée dans les études de phase 3 qui ont abouti à leur commercialisation, est une efficacité à court - moyen terme : une étude de phase 3 standard s'étale en général sur une durée de deux ans, ce qui, dans une pathologie chronique au très long cours comme la sep, permet effectivement d'avoir une petite idée sur la
gestion des affaires courantes, mais ne permet absolument pas de deviner quel effet aura le traitement sur l'évolution de la pathologie (typiquement : combien d'années pour atteindre tel niveau de handicap avec / sans traitement, a priori c'est bien la seule chose qui nous intéresse, non ?). En gros, leur efficacité première est de réduire la fréquence des poussées ; elle n'est pas de résoudre un symptôme, elle n'est pas de provoquer une remyélinisation, elle n'est pas de stopper ni même de ralentir la progression du handicap : aucun de ces trois points n'a jamais été mesuré dans une quelconque étude de phase 3 des traitements actuellement disponibles sur le marché (le vent commence un peu à tourner sur la vitesse de progression du handicap, mais aucun des traitements concernés n'a encore reçu son AMM, ils sont encore tous en phase de développement).
Il n'y a cependant pas que les études de phase 3 dans le monde merveilleux des études scientifiques, il y a aussi ce qu'on appelle les études rétrospectives, où on va analyser a posteriori des cohortes de patients. C'est ainsi qu'on a pu estimer ce qu'était l'efficacité des traitements pour ralentir la progression du handicap. Cette efficacité est tout aussi réelle, car statistiquement significative, que modeste, très modeste : au bout de 20 ans de pathologie, le patient
moyen (1) qui ne s'est jamais traité ne pourra pas parcourir plus de 100 mètres à pied et aura besoin d'une canne pour y parvenir (EDSS 6.0). Le patient
moyen (1) qui aura été sous traitement depuis son diagnostic ne parviendra quant à lui pas à parcourir une distance supérieure, mais n'aura pas encore besoin de la canne pour y arriver (EDSS 5.5). Ce patient qui aura toujours été traité finira par ailleurs lui aussi par atteindre l'EDSS 6.0 et la canne : trois ans plus tard. Cette observation devrait mettre un peu d'eau dans le vin de ta neuro quand elle t'a engueulée en apprenant que tu n'avais jamais été suivie.
(1) : Je te renvoie à la règle
"ce n'est pas parce qu'une observation est vraie du point de vue statistique, qu'elle dit quoi que ce soit à propos de chaque cas individuel".
(Vu que tu es certes très ancienne dans la pathologie, mais aussi toute nouvelle, l'échelle EDSS est un outil qui permet de mesurer le degré de handicap lié à la sep, avec un score qui va de 0.0 : tout va bien à 10.0 : décès lié à la sep. Si tu veux en savoir plus, tu trouveras l'échelle complète
ici).
A bientôt,
Jean-Philippe