A la suite du message de Mély, ici, j'ai beaucoup gambergé sur comment les proches ou même de simples relations, certainement aidées par leur méconnaissance de la maladie, pouvaient interagir avec nous rien qu'en formulant une opinion sur notre état de santé.
Je me rappelle par exemple le nouvel-an 1995-1996, où la poussée qui avait donné lieu quelques semaines plus tôt à mon diagnostic commençait tout juste à refluer et où une fatigue écrasante + gros retour de vertiges s'étaient abattus sur moi une heure avant le changement d'année (je précise que mon alcoolémie était très modeste, pas qu'on se méprenne). Je m'étais vautré comme une merde dans un canapé, atterrissage en catastrophe, saleté de sep. La femme d'un copain, hilare : "bin alors JP, t'assures pas, t'es nul, t'as trop picolé hier soir, etc.". Elle a eu l'honneur d'être la première d'une (pas si longue que ça mais tout de même) série à se faire renvoyer dans ses vingt-deux aussi sec : "si on te demande ce que j'ai, tu réponds que tu ne sais pas, mais que si ça se trouve c'est grave". Connasse.
Parmi les phrases malheureuses que je suis amené à entendre trop régulièrement figure celle que j'ai "trop de la chance", ou "trop de chance", ou juste "de la chance". Entendons-nous bien : après avoir passé plus de la moitié de ma vie avec la sep, je considère en effet, avec le recul, avoir eu le cul largement bordé de nouilles sur ce front. Ma spasticité n'est que très occasionnellement douloureuse, ne m'empêche pas de faire de grosses marches en montagne (je douille juste un peu le lendemain), mon ataxie est de la même façon à peu près domestiquée (ça dépend des jours mais c'est jamais bien méchant), la fatigue est un symptôme qui a disparu chez moi depuis lurette et surtout, mon état est stable, aucune évolution négative depuis la nuit des temps. J'ai donc eu "trop de la chance", c'est objectivement vrai.
Sauf que ceux qui me sortent ça sont systématiquement des non-sépiens : si, vis-à-vis d'un sépien, je mesure effectivement la chance que j'ai eue jusqu'ici (au point d'en ressentir parfois une certaine culpabilité auprès de cette personne, avec qui je peux discuter ici comme dans la vraie vie), quand quelqu'un qui est en parfaite santé et n'a aucune notion de ce que cette maladie peut signifier au quotidien me sort ça, bah j'ai juste un peu des envies de meurtre. Je ne suis jamais passé à l'acte hein, je précise, mais ça me chatouille parfois.
Le pire c'est quand tu viens de te taper les jérémiades de la personne pendant un quart d'heure. Je pense en l'occurrence à une très bonne copine de très longue date (je suis le parrain d'une de ses filles), qui sait très bien ce que j'ai, mais qui peut se montrer fatigante : et la vie est trop injuste, et y a deux semaines elle s'est explosé le gros orteil dans le canapé du salon et il est toujours un peu gonflé, et c'est pas toujours facile de boucler les fins de mois, et elle ne dort plus à cause du petit dernier qui fait ses dents, etc. (en gros, autant de "catastrophes" qu'on a tous connues un jour ou l'autre...). Une fois son sac bien vidé et ta coupe bien pleine, elle se tourne vers toi pour, en contrepoint, te déclarer que "alors que toi, t'as trop de la chance". Ouéouéoué. Tu veux qu'on échange, sans rire ?
Je la cite elle comme j'aurais pu en citer tant d'autres, mais je vais rester sur son cas : il y a trois ans, elle a fait un AVC (la carotide) dont elle ne conserve heureusement aucune séquelle. Elle s'est fait très, très peur, et puis elle a eu, objectivement, ... un sacré coup de bol

Ce qui est curieux, c'est que depuis ce jour, elle ne m'a plus jamais dit que j'avais "trop de la chance".
Bonne nuit !
Jean-Philippe.