Salut Fannie,
En fait je ne cherchais pas à argumenter, mais à te mettre sur tes gardes : l'acceptation est ce qu'on pourrait appeler le stade ultime, et celui à atteindre, au bout d'un processus dont on ne maîtrise tellement pas tous les éléments qu'il faut que tu t'attendes à les voir apparaître, chacun d'entre eux, tour à tour. Les phases classiques qu'on peut être amené à rencontrer auparavant, elles pourront paraître très "bateau" à certains

, sont souvent définies ainsi (avec des variations, hein) :
d'abord le choc ("hein quoi ???"),
puis le déni ("c'est pas si grave", "si ça se trouve le diagnostic n'est pas si certain que ça, ils ont tellement galéré avant d'y arriver..."),
puis la colère ("connards de médecins", "connards d'employeurs", etc.),
puis la négociation ("si je suis à la lettre le régime du professeur Machin, peut-être que je vais réussir à contrôler la maladie ?")
puis la dépression ("je suis foutu, je vais crever, chienne de vie"),
puis enfin l'acceptation.
C'est en tout cas ce qui se raconte le plus souvent. Dans mon cas, j'avais effectivement vécu chacune de ces phases qui précèdent l'acceptation, mais sans frontière nettement définie, certaines pouvaient se chevaucher, par exemple je passais tour à tour de la colère à la négociation, puis retour à la colère, etc. La colère avait d'ailleurs été mon dernier stade avant l'acceptation.
J'entends bien tes arguments, je pense toujours et plus que jamais qu'ils représentent effectivement
le but à atteindre, mais je nourris simplement la crainte qu'une acceptation trop rapide et volontaire ne te fasse complètement zapper ce processus. Or je pense qu'il finira tôt ou tard par pointer le bout de son nez, qu'il est rigoureusement incontournable, tout autant que je suis persuadé que son apparition et son déroulement échappent au contrôle conscient de chacun, et gare à ce moment-là à la surprise.
Si j'en reviens à ce que j'avais vécu, je n'avais pas eu de sensation perceptible de choc ni de déni ni de quoi que ce soit de ce genre immédiatement après le diagnostic, car tout comme toi (il semble que nous ayons quelques points communs) je suis également un éternel optimiste, très rationnel et qui aime anticiper les choses. A propos de cette période, je parlerais plus volontiers, avec le recul, d'une sorte d'état de sidération, ou dans le meilleur des cas, d'apnée qui, pendant les six premiers mois qui avaient suivi le diagnostic, m'avait transformé en zombi-robot qui pratiquait la fuite en avant dans le boulot, sans trace apparente d'émotion liée à la maladie. "La poussée qui m'a valu le diagnostic était violente mais elle s'est totalement résorbée, donc la vie est belle et elle continue comme avant, et il sera bien temps de voir la poussée suivante, mais je ne vais pas m'arrêter de vivre pour autant". Si tu m'avais demandé à ce moment précis de mon existence comment j'allais, je t'aurais répondu un truc du genre "bin ça va très bien, figure-toi !", et j'aurais été sincère. Complètement à côté de la plaque, mais complètement sincère aussi. Est-il utile de préciser que j'étais persuadé d'avoir accepté la maladie à ce moment-là

? Tout ceci est tout de même bien, à la réflexion, assimilable à un état de choc... A l'opposé, la personne tétraplégique dont tu parles dans ton message avait réellement, elle, complètement atteint ce stade de l'acceptation. Et je suis tout à fait d'accord avec toi sur l'influence énorme de la volonté sur un état stabilisé.
Toujours avec le recul, je dirais que l'acceptation est donc le résultat d'un processus qui échappe très largement à ta conscience, tout au mieux peux-tu avoir conscience sur le moment de ta colère, ou de ton déni, ou de ta négociation, etc., mais sans que cette conscience puisse y changer grand chose. Je pourrais aussi dire que n'étant pas le résultat d'un travail conscient, il ne sert à rien d'essayer consciemment d'accélérer les étapes, il n'y a pas grand chose d'autre à faire que laisser le temps au temps.
Pour m'intéresser maintenant à ton cas particulier, tu peux effectivement désormais considérer ton diagnostic comme certain, le truc qui consiste à t'annoncer "à 90% c'est ça mais on se revoit dans x semaines ou x mois, une fois qu'on aura tous les résultats, sait-on jamais" est une vieille ficelle de neurologue pour te permettre de commencer le travail de ton côté et rendre ainsi plus efficace (du point de vue du neuro) ton rendez-vous suivant, où il y a de fortes chances qu'il te parlera des différents traitements et voudra même en initier un dès le lendemain de cette consultation. Je te suggère donc de t'intéresser dès maintenant à la question. Je suis de très mauvais conseil sur le sujet, car je n'en prends pas.
Quant aux réflexions par anticipation... Je m'en étais également fait une spécialité, notamment quand j'étais gamin, où je jouais aux échecs en club. "Alors si je joue le fou, le gars en face pourra essayer ça, ou ça, ou ça ; s'il essaye ça je fais ça, s'il joue ça il se prendra ça dans la figure, etc. Maintenant si je joue le cavalier..." Les réflexions par anticipation sont très efficaces sur les évènements prévisibles. La prévisibilité n'est pas la propriété remarquable de la sep qui soit citée le plus fréquemment

. Je te laisse sur une dernière réflexion, en rapport : n'est-ce pas toi qui parlais de "lâcher prise" ? Qu'est-ce que "lâcher prise", sinon arrêter d'essayer de tout prévoir ?
PS désolé pour le "Jardin Saint Lazare", j'ai mon correcteur orthographique qui n'a pas voulu entendre parler de Lardin !
Je t'embrasse,
Jean-Philippe.