C'est une question que je me suis beaucoup posée et j'ai trouvé une réponse satisfaisante (je ne dis pas que c'est ce qui se passe en vrai, juste qu'elle me convient) avec la notion relativement récente que sont les deux composantes distinctes de la sep, à savoir RAW (
relapse activity worsening, aggravation provoquée par les poussées inflammatoires) et PIRA (
progression independant of relapse activity, progression qui survient indépendamment des poussées).
En fait, la frontière historique entre récurrente-rémittente, primaire progressive et secondaire progressive, est assez réductrice. Il faut conserver à l'esprit qu'il s'agit à chaque fois de la même pathologie, ce qui n'est pas évident au premier abord.
Toutes les sep, récurrentes-rémittentes comme progressives, primaires comme secondaires, ont une composante PIRA : poussée ou pas poussée, peu importe, la sep va provoquer une neurodégénérescence, neurodégénérescence qui pourra à terme entraîner un handicap. Toutefois, l'intensité de ce PIRA est très variable d'un patient à l'autre : pour certains, elle amènera une atrophie cérébrale (perte neuronale) et un handicap rapides, d'autres auront une atrophie cérébrale inférieure à la moyenne des sujets "sains" (même quand on est en bonne santé, on perd des neurones en vieillissant). En moyenne toutefois, l'atrophie cérébrale d'un sépien est de l'ordre de deux fois plus rapide que celle d'un sujet sain. En
moyenne, c'est à dire de la même façon qu'en mettant la tête dans le four et les fesses dans le congélateur, on atteindra une température moyenne "satisfaisante" du corps de 37°C. Il reste qu'en moyenne, par la simple action de ce PIRA, un sépien, même s'il ne fait pas de poussée, va présenter un risque nettement supérieur d'apparition et d'aggravation d'un handicap, qu'un sujet "sain". Quelle que soit, encore une fois, la forme de sep dont il est atteint.
Ce PIRA apparaît
toujours dès les tous premiers stades de la maladie, même dans les formes récurrentes-rémittentes. Sauf que les patients R/R ne s'en rendent très généralement pas compte, en particulier au début de la maladie, du fait qu'ils sont aveuglés (on le serait à moins) par la violence sans commune mesure de leurs épisodes inflammatoires. D'autant plus que la neurodégénérescence (PIRA) est dans un premier temps, qui peut durer plusieurs années, voire pendant toute la vie du patient (en fonction de son intensité), efficacement combattue par la plasticité cérébrale : quand un neurone meurt, le système nerveux central va chercher un autre moyen de transmettre ses messages. Au début de la maladie, il n'aura pas trop de mal à en trouver, ce n'est pas ça qui manque, ce n'est qu'au bout d'une certaine progression dans la maladie, une fois un certain seuil d'atrophie cérébrale atteint, qu'il pourra arriver à court de plans B et que surviendra une aggravation accélérée du handicap, caractéristique des formes progressives. Mais cette aggravation soudaine du handicap ne signifie pas que ce qui la cause vient d'apparaître -- elle signifie simplement qu'après des années de lutte contre PIRA, la plasticité cérébrale est arrivée au bout de ce qu'elle pouvait faire.
Ensuite, il y a RAW. Un sépien en primaire progressive sans poussée n'a jamais connu RAW (certaines formes progressives, qu'elles soient primaires ou secondaires, connaissent toujours une certaine proportion de RAW, mais la plupart n'ont plus, voire n'ont jamais connu pour les formes primaires progressives, de poussées). Pour l'immense majorité des sépiens qui sont en R/R toutefois, RAW on sait bien ce que c'est

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Dans l'histoire naturelle de la sep, RAW, quand il est présent (essentiellement les formes récurrentes-rémittentes), tend à s'exprimer le plus intensément dans les premiers stades de la maladie. Mais avec les années, les poussées vont devenir de moins en moins fréquentes (en moyenne, tout ça...), puis vont finir par disparaître. Il ne restera alors plus que PIRA, qui pourra selon les cas avoir déjà exercé son travail de sape neurodégénératif sur deux ou trois décennies et, une fois un certain seuil de neurodégénérescence atteint, le neurologue n'aura plus d'autre choix que d'annoncer un diagnostic de forme progressive.
Je trouve bigrement intéressant que les formes progressives, qu'elles soient primaires comme secondaires, soient en général diagnostiquées à un âge du patient situé quelque part entre quarante et cinquante ans -- alors que les formes récurrentes-rémittentes sont en général diagnostiquées une vingtaine d'années plus tôt que ça, entre vingt et trente ans.
Si j'essaye de modéliser tout ça, une sep avec un PIRA actif donnera une forme progressive active, primaire si elle est accompagnée d'un RAW peu actif, secondaire avec un RAW actif.
Une sep avec un PIRA peu actif (qui se rapprochera de la moyenne des sujets "sains") donnera une forme récurrente-rémittente qui, au bout d'un moment, sera de moins en moins récurrente (ne restera plus que la rémission), ce qui pourra dans les cas les plus favorables donner des formes dites bénignes. Ces formes qui ne sont jamais diagnostiquées progressives représentent, il me semble, le cas de figure qui fait l'objet de ce sondage. Une sep avec à la fois un PIRA et un RAW peu actifs donnera une forme latente, i.e. avec des lésions qui seront certes visibles à l'IRM, mais qui seront restées globalement asymptomatiques pendant toute la vie du patient. Je rappelle qu'avant le doublement, survenu au cours des vingt dernières années, du nombre de sep diagnostiquées, les formes latentes étaient considérées représenter au moins la moitié du total des sep.
PIRA et RAW sont deux composantes indépendantes de la sep. Pour les formes récurrentes-rémittentes, les poussées vont à terme s'espacer, voire disparaître, et seul PIRA restera sur le champ de bataille : c'est alors une deuxième mi-temps qui commence, dont la façon dont se sera déroulée la première ne permet en rien de préjuger de ce que sera l'issue du match.
Cela dit, une forme R/R qui ne connaît plus de poussée depuis des années, mérite-t-elle encore d'être appelée ainsi ?