SEP: vers un nouveau paradigme?
Posté : 02 déc. 2020, 13:21
Je lis souvent sur le forum des messages qui disent en substance: «Tout va bien, ma dernière IRM est nickel». Soit, mais j’ai envie de vous demander: «Mais comment ça va pour de vrai?» Et la réponse risque d’être plus nuancée faisant état de petits changements dans la marche, d’avantage de fatigue ressentie ou l’accentuation de soucis cognitifs etc... Cela me ramène à ce début d’année 2020 alors que j’étais en consultation avec le docteur C. mon nouveau neurologue à Grenoble. Mon parcours de sépien est le suivant: première poussée non diagnostiquée en 2006, vie normale jusqu’en 2014 puis la maladie s’emballe avec 3 ou 4 poussées par an qui laissent des traces, mise sous Copaxone puis Tysabri en 2017. Et à partir de là plus de poussées mais de plus en plus de fatigue, de problèmes cognitifs, de soucis pour marcher, de spasticité etc... Je finis par être mis en invalidité mettant un terme à ma carrière professionnelle à 51 ans. Or justement comme je le fais remarquer à mon neurologue jamais mes IRM n’ont été aussi belles, exemptes de nouvelles plaques. Sa réponse tombe rapidement: «C’est parce que vous êtes passé en secondairement progressive, on arrête le Tysabri». Bien. Mais dans mon esprit il s’agit de la même maladie! Les mois s’écoulent, la crise du Covid s’invite, je finis par essayer le Rituximab au début de l’été. Malheureusement la première perfusion se solde par un œdème de Quincke et une grosse frayeur. Exit le Rituximab. De toutes les manières l’utilisation des anti CD20 ne «soigne» pas la maladie mais calme juste les inflammations ponctuelles. Des études de cohorte suggèrent une certaine efficacité dans les formes secondaires pour contenir l’aggravation de la maladie mais sans déclencher non plus un enthousiasme délirant. Bref, me voilà donc sans traitement.
Le hasard de mes lectures m’a fait découvrir le blog de la Barts & the London school (ici: https://multiple-sclerosis-research.org/ ). Véritable mine d’information sur la SEP, ce site (en anglais mais avec traduction intégrée) propose des articles d’un bon niveau et surtout récents. J’ai notamment suivi à partir du mois de mars toutes les interventions liées au Covid-19: risques liés aux différents traitements immunosuppresseurs ou à la prise de corticoïdes, atténuation possible d’un vaccin anti-covid en cas de traitement induisant une déplétion des lymphocytes etc... Parmi les intervenants j’ai mon petit chouchou: le professeur Gavin Giovannoni alias ProfG. C’est un chercheur très connu dans le monde anglo-saxon qui prend beaucoup de recul et arrive même parfois à critiquer la politique de certains laboratoires, si si. J’arrive à un point de ma maladie où je n’arrive plus à m’enthousiasmer à la moindre annonce de supposé progrès dans la recherche contre la SEP. Mais là, rien de tout ça. Il s’agit d’un billet paru fin 2019 qui m’a véritablement bouleversé.
Je vous livre la traduction du texte de G. Giovannoni (Original: https://multiple-sclerosis-research.org ... -ms-clinic):
En rentrant chez moi, je me suis demandé si je devais changer le nom de ma consultation de SEP en «Consultation de SEP couvante». Pratiquement tous mes patients avaient une SEP couvante ou comme certains d'entre vous préféreraient que je l'appelle PIRA (Progression Independent of Relapse Activity / Progression indépendante des poussées). Avec nos campagnes agressives de traitement précoce et efficace, de traitement 2-cibles, de tolérance zéro, NEDA (No Evident Disease Activity / Aucune activité évidente de la maladie), je pense que nous avons révélé la vraie SEP, c'est-à-dire la maladie qui couve. La quasi-totalité de mes patients de suivi étaient NEDA hier et se portaient «bien». Cependant, lorsque je les ai interrogés, presque tous présentaient des symptômes subtils et des signes d'aggravation de la maladie. Aggravation de la fatigue, ralentissement cognitif, distance de marche réduite, pieds qui tombent à l'effort, nycturie, dysfonctionnement sexuel, engourdissement et maladresse de la main, instabilité subtile de la démarche, mauvais équilibre dans l'obscurité et en cas de fatigue, augmentation des spasmes des jambes la nuit, réduction de la discrimination auditive , problèmes de vision nocturne, etc...
La nouvelle norme est la sclérose en plaques ou plus probablement la prise de conscience que la sclérose en plaques est en train de brûler. Nos traitements anti-inflammatoires font ce que nous disons qu’ils devraient faire, c’est-à-dire qu’ils arrêtent les lésions inflammatoires focales et les poussées, mais atteignent-ils le cœur de la maladie, la «sclérose en plaques»? Je soupçonne que non, j'ai déjà soutenu à plusieurs reprises sur ce blog que l'inflammation focale n'est pas la SEP et que la vraie maladie est ce qui pousse le système immunitaire à produire les événements inflammatoires focaux. Je soupçonne que les traitements efficaces convertissent simplement les formes récurrentes de la SEP en ce que nous appelions autrefois la SEP progressive primaire.
Si vous souffrez de SEP, ce message sera très déprimant, mais dès que la communauté de la SEP fera face à ce qui précède, mieux ce sera. Nous commencerions alors à affecter nos ressources limitées à la lutte contre la sclérose en plaques. J'encourage les bailleurs de fonds (gouvernementaux, caritatifs, privés et pharmaceutiques) à commencer à détourner leurs dépenses de R&D vers la lutte contre la sclérose en plaques. Ce qui doit être fait? J'encouragerais une réflexion originale et soutiendrais des hypothèses alternatives sur la SEP. Nous avons besoin d'études approfondies de phénotypage et de biomarqueurs. Davantage d'essais sur des médicaments ciblant les lymphocytes B et les plasmocytes du SNC, les inhibiteurs ou activateurs de la microglie (les deux doivent être testés), les médicaments ciblant la biologie des astrocytes et des oligodendrocytes, les essais antiviraux et les essais ciblant les mécanismes du vieillissement. J'inclurais également la biologie des systèmes et l'impact de l'alimentation, etc. sur les maladies qui couvent. Nous avons besoin d'un événement «March of Dimes» de la sclérose en plaques pour recueillir les fonds nécessaires pour maîtriser la vraie SEP.
J’ai choisi dans mon titre le titre le joli mot de paradigme. Ce concept, relativement récent puisqu’il remonte aux années 60, est fondamental pour comprendre la petite révolution qui est en train de naître. Pour plus d’infos pour ceux que ça intéresse c’est par ici: https://philosciences.com/philosophie-e ... homas-kuhn.
Mais revenons à la SEP. En lisant ce texte de G. Giovanonni j’ai pour la première fois l’impression que l’on est en train de toucher du doigt ce qui constitue vraiment cette fichue maladie Et comme il le dit lui-même c’est relativement déprimant. Mais j’ai l’intuition qu’enfin on s’intéresse à ce qui constitue la «vraie» SEP. J’aimerai bien que, comme tous les malades, un médicament révolutionnaire sorte sur le marché prochainement. Mais entre nous j’en doute fortement. Je n’ai pas encore baissé les bras et j’ai récemment contacté un laboratoire pour essayer de m’inclure à une étude confirmatoire de l’efficacité d’une molécule (voir communiqué de presse ici https://www.globenewswire.com/news-rele ... %A9ro.html). A voir.
Pour terminer, ceux qui maîtrisent la langue de Shakespeare peuvent suivre une vidéo de G. Giovannoni qui développe sa pensée. C’est par là: https://youtu.be/U38RqkSUYvI
Bonne digestion.
Le hasard de mes lectures m’a fait découvrir le blog de la Barts & the London school (ici: https://multiple-sclerosis-research.org/ ). Véritable mine d’information sur la SEP, ce site (en anglais mais avec traduction intégrée) propose des articles d’un bon niveau et surtout récents. J’ai notamment suivi à partir du mois de mars toutes les interventions liées au Covid-19: risques liés aux différents traitements immunosuppresseurs ou à la prise de corticoïdes, atténuation possible d’un vaccin anti-covid en cas de traitement induisant une déplétion des lymphocytes etc... Parmi les intervenants j’ai mon petit chouchou: le professeur Gavin Giovannoni alias ProfG. C’est un chercheur très connu dans le monde anglo-saxon qui prend beaucoup de recul et arrive même parfois à critiquer la politique de certains laboratoires, si si. J’arrive à un point de ma maladie où je n’arrive plus à m’enthousiasmer à la moindre annonce de supposé progrès dans la recherche contre la SEP. Mais là, rien de tout ça. Il s’agit d’un billet paru fin 2019 qui m’a véritablement bouleversé.
Je vous livre la traduction du texte de G. Giovannoni (Original: https://multiple-sclerosis-research.org ... -ms-clinic):
En rentrant chez moi, je me suis demandé si je devais changer le nom de ma consultation de SEP en «Consultation de SEP couvante». Pratiquement tous mes patients avaient une SEP couvante ou comme certains d'entre vous préféreraient que je l'appelle PIRA (Progression Independent of Relapse Activity / Progression indépendante des poussées). Avec nos campagnes agressives de traitement précoce et efficace, de traitement 2-cibles, de tolérance zéro, NEDA (No Evident Disease Activity / Aucune activité évidente de la maladie), je pense que nous avons révélé la vraie SEP, c'est-à-dire la maladie qui couve. La quasi-totalité de mes patients de suivi étaient NEDA hier et se portaient «bien». Cependant, lorsque je les ai interrogés, presque tous présentaient des symptômes subtils et des signes d'aggravation de la maladie. Aggravation de la fatigue, ralentissement cognitif, distance de marche réduite, pieds qui tombent à l'effort, nycturie, dysfonctionnement sexuel, engourdissement et maladresse de la main, instabilité subtile de la démarche, mauvais équilibre dans l'obscurité et en cas de fatigue, augmentation des spasmes des jambes la nuit, réduction de la discrimination auditive , problèmes de vision nocturne, etc...
La nouvelle norme est la sclérose en plaques ou plus probablement la prise de conscience que la sclérose en plaques est en train de brûler. Nos traitements anti-inflammatoires font ce que nous disons qu’ils devraient faire, c’est-à-dire qu’ils arrêtent les lésions inflammatoires focales et les poussées, mais atteignent-ils le cœur de la maladie, la «sclérose en plaques»? Je soupçonne que non, j'ai déjà soutenu à plusieurs reprises sur ce blog que l'inflammation focale n'est pas la SEP et que la vraie maladie est ce qui pousse le système immunitaire à produire les événements inflammatoires focaux. Je soupçonne que les traitements efficaces convertissent simplement les formes récurrentes de la SEP en ce que nous appelions autrefois la SEP progressive primaire.
Si vous souffrez de SEP, ce message sera très déprimant, mais dès que la communauté de la SEP fera face à ce qui précède, mieux ce sera. Nous commencerions alors à affecter nos ressources limitées à la lutte contre la sclérose en plaques. J'encourage les bailleurs de fonds (gouvernementaux, caritatifs, privés et pharmaceutiques) à commencer à détourner leurs dépenses de R&D vers la lutte contre la sclérose en plaques. Ce qui doit être fait? J'encouragerais une réflexion originale et soutiendrais des hypothèses alternatives sur la SEP. Nous avons besoin d'études approfondies de phénotypage et de biomarqueurs. Davantage d'essais sur des médicaments ciblant les lymphocytes B et les plasmocytes du SNC, les inhibiteurs ou activateurs de la microglie (les deux doivent être testés), les médicaments ciblant la biologie des astrocytes et des oligodendrocytes, les essais antiviraux et les essais ciblant les mécanismes du vieillissement. J'inclurais également la biologie des systèmes et l'impact de l'alimentation, etc. sur les maladies qui couvent. Nous avons besoin d'un événement «March of Dimes» de la sclérose en plaques pour recueillir les fonds nécessaires pour maîtriser la vraie SEP.
J’ai choisi dans mon titre le titre le joli mot de paradigme. Ce concept, relativement récent puisqu’il remonte aux années 60, est fondamental pour comprendre la petite révolution qui est en train de naître. Pour plus d’infos pour ceux que ça intéresse c’est par ici: https://philosciences.com/philosophie-e ... homas-kuhn.
Mais revenons à la SEP. En lisant ce texte de G. Giovanonni j’ai pour la première fois l’impression que l’on est en train de toucher du doigt ce qui constitue vraiment cette fichue maladie Et comme il le dit lui-même c’est relativement déprimant. Mais j’ai l’intuition qu’enfin on s’intéresse à ce qui constitue la «vraie» SEP. J’aimerai bien que, comme tous les malades, un médicament révolutionnaire sorte sur le marché prochainement. Mais entre nous j’en doute fortement. Je n’ai pas encore baissé les bras et j’ai récemment contacté un laboratoire pour essayer de m’inclure à une étude confirmatoire de l’efficacité d’une molécule (voir communiqué de presse ici https://www.globenewswire.com/news-rele ... %A9ro.html). A voir.
Pour terminer, ceux qui maîtrisent la langue de Shakespeare peuvent suivre une vidéo de G. Giovannoni qui développe sa pensée. C’est par là: https://youtu.be/U38RqkSUYvI
Bonne digestion.