Salut Linette,
La première chose à comprendre, c'est que l'efficacité des traitements, telle que tu la décris, est une efficacité
purement statistique, telle que déterminée dans les études de phase 3 des produits.
Cas pratique
.
L'entreprise Linette Healthcare Corp. souhaite tester l'efficacité contre la sep du jus de betterave en intraveineuse. Elle va devoir commencer par recruter, allez disons deux cents sépiens, qui devront se trouver à un stade de la maladie aussi uniformisé que possible (âge, ancienneté dans la maladie, taux annualisé de poussées, EDSS, etc., juste histoire de ne pas comparer des choux avec des carottes). Elle devra ensuite les répartir
aléatoirement entre deux groupes, qu'on appelle des "bras" (cette distribution aléatoire des deux groupes représente ce qu'on appelle la "randomisation"), puis fera administrer le jus de betteraves au premier groupe, et un placebo quelconque au deuxième groupe (parenthèse : dans la vraie vie, quand on veut aujourd'hui tester une nouvelle molécule contre la sep, le bras "placebo" est remplacé par un bras "interféron bêta" -- on reste humain

). Ni le patient ni celui qui procède à l'injection ne doit savoir si le produit qui est administré est le placebo ou le jus de betterave ("double aveugle"), ceci dans le but de minimiser autant que possible les biais, tels que par exemple le fameux "effet placebo".
Tu vas ensuite suivre le protocole prédéfini (fréquence des injections, quantité et concentration du jus de betterave injecté, etc.) pendant la durée que tu t'étais fixée avant de lancer l'étude. En règle très générale, pour les traitements de fond contre la sep quels qu'ils soient, cette durée tourne autour de deux ans. Oui je sais, deux ans pour valider l'efficacité d'un traitement contre une maladie d'aussi longue évolution que la sep, certains pourront s'étonner que ce soit un peu court

, mais je n'ai pas mieux à leur proposer. Une fois arrivée au bout de tes deux ans, tu feras ensuite passer une batterie d'examens à chacun de tes deux cents sépiens, batterie d'examens à travers lesquels tu vas mesurer les différents "outcomes" que tu auras également définis
avant de lancer l'étude : évolution du nombre de lésions à l'IRM, évolution de l'EDSS, nombre de poussées pendant les deux ans, etc. Nouvelle parenthèse : il n'est pas exclu d'envisager que si tel traitement te dit que "son effet sur l’activité IRM et sur la progression du handicap n’a pu être démontré", c'est tout bêtement parce qu'au moment de lancer l'étude, on avait défini le taux annualisé de poussées comme seul outcome, et que ça coûterait un saladier de tout recommencer à zéro. Ca ne nous empêche de toute façon pas de commercialiser notre produit, alors à quoi bon investir ? Ce n'est pas parce que tu n'as pas mesuré tel paramètre, que le traitement n'a pas d'impact sur ce paramètre...
Exemple : sur un critère tel que l'évolution de l'EDSS (évolution du handicap), il faut commencer par garder en mémoire qu'une poussée est parfaitement capable d'accroître ton score EDSS de façon temporaire, avec retour à la normale une fois la poussée terminée. Pour le bras placebo, qui ferait donc plus de poussées que le bras jus de betterave (c'est l'idée), tu te retrouveras imparablement en fin d'étude avec un pourcentage supérieur de patients du bras placebo qui seront en poussée. Conséquence directe : un EDSS (lié à la poussée en cours) supérieur dans le bras placebo, à ce qu'il sera dans le bras jus de betteraves. Mais qu'est-ce que ça démontrera de plus que la simple efficacité sur le taux de poussée ? Les études de phase 3 les plus récentes ont compris ce biais et l'ont intégré, ce qui fait qu'on mesure désormais un EDSS stabilisé à x mois, plutôt qu'un EDSS instantané à la fin de l'étude. Sauf que les études de phase 3 des ABCR (Avonex, Betaseron, Copaxone, Rebif) ont été menées il y a plus d'un quart de siècle, qu'il n'est pas question de les recommencer à zéro, et que cette subtilité leur avait à l'époque échappé...
Bref. Tu te retrouves maintenant avec deux séries de données, une pour le bras "traitement", une autre pour le bras "placebo", que tu vas maintenant comparer entre elles à l'aide des outils statistiques qui vont bien. C'est à ce stade, une fois que ton ordinateur aura fini de tout mouliner, que tu auras enfin les billes qui te permettront par exemple d'affirmer que "le jus de betterave réduit le nombre de poussées de 30% par rapport au placebo", résultat tangible, mais qui reste statistique, d'une étude de phase 3 menée dans les règles, c'est à dire avec un fort niveau de preuve scientifique.
Oui mais c'est pas fini, car c'est là que tu peux te rappeler qu'il y a
autant de sep que de sépiens, et si tu commences à réfléchir un peu au sens profond de cette vérité première de la sep, assez rapidement tu vas sentir ta chaise se dérober sous tes fesses

. Par exemple, dans le bras placebo, tu peux être sûre de trouver certains sépiens qui s'en seront beaucoup mieux tirés, qu'une majorité des sépiens du bras jus de betterave : ça ne rate jamais. Le pronostic individuel de chaque patient étant toujours réputé impossible, que vaut, dans ces conditions, l'uniformisation des effectifs que tu auras faite lors du recrutement des cobayes ? D'autre part, toujours à propos de cette uniformisation, si les critères d'uniformisation consistaient par exemple à tester le produit sur des sépiens qui faisaient entre une et quatre poussées par an (le taux annualisé de poussée est un critère d'uniformisation très fréquemment employé, je n'ose pas dire systématiquement mais je le pense très fort), sur un sépien qui n'aurait pas fait de poussée depuis plus d'un an,
l'efficacité du traitement n'a jamais été testée. Etc., je pense qu'on peut trouver un nombre quasi illimité de contre-exemples qui rendent illusoire l'application d'une règle statistique à un individu. Et plus particulièrement dans le cas d'une pathologie aussi protéiforme que la sclérose en plaques.
Prendre un traitement de fond, c'est pour une très grande partie une question de croyance. On peut dire la même chose du neurologue qui prescrit un traitement de fond : il le fait parce qu'il
croit que ça va marcher. Quand un neuro te change de traitement, c'est parce qu'il
croit que le nouveau va se montrer plus efficace que le précédent, mais au fond de lui, il n'en a qu'une vague idée statistique qui,
si ça se trouve, va se montrer totalement à côté de la plaque sur son patient. L'opposé est également possible :
si ça se trouve la Copaxone est beaucoup plus efficace dans ton cas individuel, que ne l'étaient les interférons-bêta. Rien ne permet d'en être sûr, ni d'être sûr du contraire et c'est pourquoi je porte un regard très critique sur les différentes méthodes qui ont été développées pour mesurer l' "efficacité" des traitements, le score de Rio par exemple : elles ignorent totalement les spécificités individuelles propres à chaque cas, autant de sep que de sépiens,
amen. Pour être certain de l'efficacité d'un traitement dans le cas particulier d'un patient donné, il faudrait pouvoir comparer l'état du patient aujourd'hui, avec ce qu'aurait été son état, toujours aujourd'hui, s'il avait pris un autre traitement. La chose est bien évidemment impossible, et elle le restera tant qu'on n'aura pas trouvé la clé des univers parallèles

.
Quand un patient sous traitement A passe en deux ans d'un EDSS de 2.0 à un EDSS de 4.0, ça ne rate jamais, son neuro va considérer que le traitement A est inefficace, et va basculer son patient sous traitement B. C'est bien gentil, mais aucune base scientifique ne permet d'affirmer qu'avec le traitement B, le même patient ne se serait pas retrouvé à un EDSS de 5.0 au lieu de 4.0, aucune base scientifique ne permet d'affirmer que le traitement A était inefficace,
si ça se trouve le traitement A était le plus efficace de tous ceux qu'on pouvait prescrire. Mais on en change tout de même...
Croyance et doigt mouillé
