Salut Sarah !
SarahCm a écrit :Merci pour l'étude. Si je comprends bien, les traitements retardent un peu la progression du handicape mais étant donner qu'ils n'agissent pas sur la composante dégénérative, sur le long terme on en arrive au même point.
C'est exactement ça. Il y a un intérêt aussi réel que modeste à suivre un traitement ; cet intérêt est plus présent en début de pathologie, puis de moins en moins au fil du temps.
En tant que jeune diagnostiquée, il te faut également considérer que tu n'as pas forcément envie de te taper des poussées à répétition -- à voir selon la gravité des symptômes associés, certaines poussées peuvent réellement se montrer très invalidantes, d'autres beaucoup moins, voire pas du tout -- tu en sais quelque chose

(1). Les traitements de fond sont efficaces pour réduire la fréquence des poussées, de 30 à 50% selon les traitements (réduction de 30%, enfin 33 en l'occurrence : si, sans traitement, tu dois avoir trois poussées sur une période de x années, disons deux ans, en prenant un traitement tu n'en auras plus que deux). Quand la question s'était posée pour moi, j'avais déjà un peu plus de dix ans d'ancienneté dans la maladie et ma dernière poussée remontait à deux ans et demi en arrière (au pire du pire, quelques années plus tôt, il avait pu ne s'écouler que quatre mois entre deux poussées) : réduire de 30% la fréquence de mes poussées dans ces conditions présentait un intérêt potentiel certes réel, mais qui restait tout de même très relatif étant donné ce qu'était l'évolution naturelle de ma sep à ce moment-là...
(1) Un autre détail relatif aux poussées est fort rarement (pour ne pas dire jamais) abordé dans la mesure de l'efficacité des traitements, et c'est fort dommage, c'est la qualité de la récupération à l'issue d'une poussée. La forme la plus courante de sep est dite rémittente (ou aussi récurrente-rémittente), c'est à dire que chaque poussée est suivie d'une
rémission, laquelle sera plus ou moins complète. Or, qu'est-ce qui est préférable, entre faire quatre poussées invalidantes en deux ans, mais des poussées dont tu récupéreras complètement à chaque fois, ou n'en faire qu'une seule, moins invalidante, mais dont tu ne récupéreras que partiellement et qui te laissera par conséquent des séquelles ?
Que tu prennes ou pas un traitement, les poussées tendront de toute façon,
naturellement, à disparaître à mesure que ta maladie prendra de l'ancienneté -- c'est sans doute la raison principale pour laquelle les traitements de fond seront d'autant plus efficaces qu'ils seront démarrés tôt : si l'objectif est de réduire la fréquence des poussées, alors autant taper dans la période où ces poussées seront les plus fréquentes, c'est à dire tout de suite. Une fois que les poussées auront disparu, la seule composante de la sep qui restera encore à l'œuvre sera la composante neurodégénérative diffuse, c'est une autre partie qui commencera. La neurodégénérescence est un phénomène qui touche tout le monde, sépiens comme "sujets sains", simplement elle est en moyenne deux fois plus rapide chez les sépiens, chez qui elle pourra donc provoquer du handicap qu'on ne rencontrera pas chez les "sujets sains". Mais elle est également très variable d'un sépien à l'autre, certains sépiens ont un rythme de neurodégénérescence aussi lent que les plus sains des sujets sains : autrement dit, une fois que la composante inflammatoire aiguë s'en est allée, on pourrait presque voir ça comme s'ils étaient définitivement débarrassés de leur sep.
J'en reviens à mes moutons. Je n'ai, quant à moi, plus jamais connu de poussée depuis cette époque où on m'avait proposé d'initier un traitement, et où j'avais décliné la proposition. Tu savoureras toute l'ironie de la chose : si j'avais choisi de démarrer un traitement à ce moment-là, il aurait évidemment été jugé sacrément efficace par ma neurologue, puisque je n'ai plus jamais fait de poussée depuis cette époque... Et pourtant, son efficacité réelle aurait été de zéro absolu, puisqu'en ne prenant rien du tout, j'en suis arrivé au même résultat (je te parle d'il y a vingt ans en arrière).
Il faut ici rappeler que le pronostic individuel de chaque patient est
impossible (si tu tombes sur un neuro qui te prétend le contraire, change de neuro). Et pourtant, quand un neuro affirme que, chez tel patient, le traitement est efficace alors que chez tel autre il ne l'est pas, qu'en sait-il ? Rien, sinon par l'intermédiaire d'un
pronostic plus ou moins rétroactif : "si vous n'aviez pas pris de traitement, vous vous porteriez plus mal aujourd'hui". On retrouve couramment ce genre de problématique aujourd'hui, quand un sépien sous traitement depuis l'origine de sa pathologie ne fait plus de poussée depuis quelques années : s'il ne connaît plus de poussée, est-ce grâce au traitement, ou est-ce tout bêtement le cours naturel de sa sep ? Personne n'est capable de le dire, donc
on ne sait jamais, on n'est jamais trop prudent, on continue le traitement.
Pour ce qui est de l'accumulation du handicap sur le long terme, la seule chose qui soit réellement pertinente selon moi, j'ai l'habitude de dire que
au bout de vingt ans, la différence entre traité depuis toujours / jamais traité, c'est la canne : après +/- vingt années d'ancienneté dans la pathologie, le sépien
moyen aura,
avec ou sans traitement, un périmètre de marche de 100 mètres. S'il est sous traitement depuis son diagnostic il n'aura pas besoin de canne pour y arriver (EDSS 5.5), alors que s'il n'a jamais pris de traitement il lui en faudra une (EDSS 6.0). Le "gain" est alors de trois années : le sépien qui a toujours été sous traitement finira lui aussi par atteindre l'EDSS 6.0 et l'obligation de recourir à une canne, mais trois ans plus tard. Au bout de +/- vingt ans d'ancienneté dans la maladie, donc (2).
Tout cela tiré de
cette très sérieuse étude déjà citée, donc. Les pédigrées des deux coauteurs sont d'ailleurs fort intéressants : le premier, Fred Lublin, est un des plus éminents spécialistes mondiaux de la sep, patron de la neurologie au Mount Sinai de New-York (équivalent américain de la Salpé en France) et un des premiers, en son temps (je te parle des années 80), à avoir expérimenté l'interféron bêta dans le cadre de la sep ; le second, Dieter Häring, est ce qu'on pourrait appeler le statisticien-en-chef, ou directeur du bigdata si tu préfères

, chez Novartis. Autant dire qu'aucun des deux n'a le moindre intérêt à essayer de minimiser l'efficacité des traitements, au contraire.
Un peu déprimant tout ca mais bon, va falloir que je mette en tête qu'il faut que je profite tant que tout va bien pour moi. Pas facile tout ca, finalement j'aurais peut être aimé ne pas savoir et apprendre à la première poussée.
Reculer pour mieux sauter
(2) Il est essentiel de conserver à l'esprit que toutes ces connaissances sont purement statistiques, et qu'elles ne disent rigoureusement rien de ce que sera
ta propre évolution sur le long terme (or a priori, il n'y a que ça qui t'intéresse, rassure-moi ?). C'est notamment pour cela que dans mon message de bienvenue, je te disais :
Cela dit, tu es encore fort jeune et je ne vois pas comment tu vas pouvoir échapper, symptômes ou pas, à cette fameuse épée de Damoclès qu'on pratique tous couramment, par ici
Dans ton cas, rien ne permet d'affirmer que tu connaîtras d'autres épisodes ; rien ne permet non plus d'affirmer que tu n'en connaîtras pas : personne n'en sait rien, impossibilité du pronostic individuel, tout ça. Je te renvoie par ailleurs à ce que je te disais sur les formes
latentes de sep, celles qui, pendant toute la vie du patient, ne s'accompagneront jamais de symptômes suffisants pour l'inquiéter au point qu'il aille consulter pour si peu, et qui sont pourtant les plus nombreuses (on estime la répartition à entre 1 et 2 formes latentes de sep, pour 1 forme symptomatique).
Pour l'instant, étant donné que tes lésions ont été découvertes fortuitement et qu'aucun éventuel symptôme ne t'a jamais paru digne d'intérêt, rien ne permet d'exclure que tu feras partie, pendant toute ton existence, de cet effectif des formes latentes.
Ta façon de réagir, "il faut que je profite tant que tout va bien pour moi", me semble par conséquent être de loin la plus saine qui soit, à vrai dire en te lisant je trouve que tu fais preuve, ici comme ailleurs, d'une maturité fort inattendue pour les dix-neuf ans que tu annonces

. Chapeau bas !
A bientôt (il faut que je file acheter de quoi sustenter ma petite famille...),
Jean-Philippe