Merci 'Septendre' et ‘Bashogun’ pour votre accueil.
Je vais essayer de répondre à vos questions sur ma façon de "gérer" la maladie. Et pour commencer oui, effectivement, j’ai pris un certain nombre de mesures "techniques" pour essayer de la domestiquer, en particulier après ma poussée de 1997 ; par exemple :
- quitter Paris pour Londres a sans le moindre doute fait nettement baisser mon niveau de stress. Rebelote en quittant Londres pour la Suisse, pas sûr de pouvoir descendre encore beaucoup plus bas sur ce front

. Par ailleurs la décision d'expatriation était une décision "lourde" (je pense d'ailleurs qu'elle n'est pas étrangère à ma poussée de 1997, survenue juste un mois avant mon déménagement...), mais qui me redonnait pour la première fois depuis le diagnostic, l'impression de retrouver un contrôle sur ma vie, contrôle qui jusque là avait tendance à partir nettement en sucette...
- en quittant Paris j’ai aussi définitivement quitté le salariat : mon déménagement était lié à l'expatriation de mon épouse, proposée par son employeur. Nous avions la possibilité de décliner cette proposition mais nous nous y sommes engouffrés, notamment parce que j'avais la forte intuition que l'environnement si stressé de Paris ne réussissait pas à ma maladie. Quand nous sommes arrivés à Londres, nous nous sommes retrouvés immédiatement, sur le seul revenu de mon épouse, avec des moyens d'existence légèrement supérieurs à ce qu'ils étaient à Paris sur nos deux revenus cumulés : ça n'était pas très motivant pour retourner dans le stress de la "rat race", d’autant que la fatigue qui me restait de la poussée dont je sortais tout juste a mis longtemps à se dissiper. J'ajoute à ça que j'aurais dû claquer plus de la moitié de cet hypothétique salaire supplémentaire rien que pour avoir le déplaisir de faire garder notre premier fils, âgé d'à peine deux ans, par une nurse inconnue... Je me suis tout de même mis à proposer des services informatiques à la demande, développements autour de bases de données, histoire d'éviter que les circuits ne rouillent complètement, mais guère plus. Je continue d'ailleurs à le faire occasionnellement, j'ai quelques clients fidèles, mais ce n'est jamais ça qui a nourri la famille. Baisse de stress là encore + je pouvais dormir les (rares) fois où je sentais que j’en avais besoin. A ce sujet, je suis fermement convaincu que le sommeil (pouvoir dormir à satiété) est un médicament de premier ordre pour plein de maladies, dont sans doute la sep.
- Londres et encore plus la Suisse sont des environnements où je me suis retrouvé vivre beaucoup plus au grand air (maisons avec jardin) et où par conséquent mes niveaux de vitamine D ne peuvent qu'être bien supérieurs à ce qu’ils étaient à Paris (appartement étriqué). Eh oui, on n'y pense pas, ça a l'air idiot comme ça, mais pourquoi pas un effet direct sur la sep ?
Pour revenir sur ce que suggère Septendre sur la nécessité de "garder une activité cérébrale soutenue", j’ai donc en ce qui me concerne... parcouru le chemin inverse

en réduisant considérablement celle-ci. A Paris je présentais le profil parfait du jeune cadre dynamique, toujours en déplacement de conseil informatique chez des clients vachement sérieux, genre directions informatiques de ministères, de grosses boîtes, etc. avec des horaires de forcené et une CPU en surchauffe permanente : il me fallait rééquilibrer tout ça et ce rééquilibre impliquait une nette augmentation de mes activités manuelles et physiques. Je me suis donc dès lors chargé d’élever nos un, puis deux, puis trois gamins, d'assurer les courses, la cuisine, le bricolage, le jardinage... (l'absence du repassage dans cette liste n'est pas due à un oubli

). Ceci avait notamment pour but de donner un sens que j’acceptais à ma vie, sur le thème « puisque la maladie m'empêche d'atteindre mes ambitions professionnelles initiales, alors autant changer d'ambitions tout de suite et m'éclater dans la vie familiale, où au moins j’aurai l’impression de servir à quelque chose, d’être efficace, utile, et pas un boulet ». Je ne remercierai jamais assez ma femme de l'avoir compris et de m’avoir permis de trouver ce nouvel équilibre. Ce changement de mode de vie s'est accompagné (notez bien que je ne parle pas de causalité, juste de simultanéité) d'une augmentation sensible du temps entre deux poussées : celle de juillet 1997 était survenue environ dix-huit mois après celle de 1995 (décembre), la suivante n'est venue que trois ans et demi plus tard (décembre 2000).
Cette nécessité d'équilibre entre l'intellect et le physique a été très bien résumée il y a fort longtemps par DH Lawrence : « la vie n’est acceptable que si le corps et l’esprit vivent en bonne intelligence ». Cette phrase est devenue un précepte de mon existence, le corps c'est notamment les sens et les membres, c'est donc ce sur quoi les effets de la sep se manifestent de façon visible ; l'esprit c'est alors, d'une certaine façon, le cerveau et le système nerveux central, c'est ce qui est attaqué par la sep. Mais encore : ces attaques de sep sont celles du corps lui-même qui, par l'intermédiaire des anticorps qu'il envoie, s'attaque au cerveau, et de ce fait s'auto-mutile : on est un peu éloigné de la "bonne intelligence".
Supposer qu'une action simultanée sur les deux, le corps et l'esprit, était la meilleure, voire la seule façon de gérer la chose relève peut-être de la croyance obscurantiste

, mais au moins ça me donnait un objectif et une barre à tenir : en retrouvant un gouvernail, j'étais de nouveau capable d'orienter ma vie. Cela dit, si la plupart des symptômes ont tous fini par disparaître au point de n'être plus décelables à l'examen clinique, je n'ai jamais réussi à résoudre complètement mon problème d'ataxie, que j'attaque pourtant de la manière forte par une pratique régulière de l'alpinisme (ça passe ou ça casse...).
Je pourrais aussi évoquer la longue période de flottement qui a suivi le diagnostic (12/1995) et ne s’est terminée qu’avec mon départ à Londres (07/1997), les étapes classiques du deuil telles que tout le monde ici a dû les vivre, ou est en train de les vivre : déni, colère, marchandage, dépression, ... En 1995 l’internet était balbutiant, au mieux on surfait chez soi à 56 kbps, ou alors au bureau, et trouver des ressources sur la sep était loin d’être aussi facile et immédiat qu'aujourd'hui. J'ai finalement réussi à trouver de la prose médicale assez complète sous forme de bonnes vieilles photocopies du livre de cours d'une amie d'enfance, qui terminait ses études de médecine. Les forums n'existaient pas, ce n'est qu'autour de 1998 que j'ai enfin trouvé sur usenet le groupe alt.support.mult-sclerosis, dont je suis devenu un pilier pendant quelques années (il est parti en vrille par la suite, comme beaucoup de groupes usenet). Auparavant j'avais dû me résoudre à répondre à mes humeurs du moment par essentiellement de la lecture plus générale. Par exemple, la phase de la colère, dont en 1996 j’avais du mal à sortir, a finalement été réglée d’un coup par la lecture de l’Homme Révolté de Camus, englouti sur le Thalys Bruxelles - Paris qui me ramenait de chez un client (1h20, donc). Chaque phrase m'apparaissait immédiatement limpide, évidente, directement connectée à la démonstration. J’ai essayé de le relire par curiosité voici quelques mois, après le même temps d'une heure vingt j’avais à peine réussi à en lire vingt pages, devant relire chaque phrase dix fois pour espérer en dégager le sens profond : je ne suis plus en révolte...
Parmi les autres lectures de cette période j'ai (moi aussi ?) eu ma "tentation mystique". Je pense que nombreux sont ceux qui sont soumis à une telle tentation après l'annonce du diagnostic, je pense aussi que c'est une tentation qui peut être source de bienfaits (par la paix intérieure qu'elle peut apporter, et donc une moindre sensibilité au stress), mais je me dis qu'il est important de bien savoir la doser, afin de toujours garder les pieds sur terre... C'est pourquoi je m'obligeais à tempérer chacune de mes lectures "mystiques" (Philosophia Perennis de Huxley, très bien, ou encore le Livre Tibétain des Morts...) par une piqûre de rappel de Nietzsche dans la foulée (Aurore ou Ecce Homo sont faciles à lire et ils calment bien le risque d'exaltation illuminée). Dans la gestion psychologique du stress, j'ai aussi appris à ne plus (trop) m'énerver contre des éléments sur lesquels je n'avais de toute façon aucune influence (exemple parisien au hasard : les grèves dans les transports

-- pendant mon diagnostic initial, fin 1995, on était en plein dedans), à ne plus écouter que d'une oreille distraite les informations, à ne plus écouter la météo que quand je dois faire des plantations dans mon jardin le lendemain, à me réjouir de la pluie (ça arrose mon jardin) comme du beau temps (on va pouvoir manger dehors), etc. J'ai des copains qui appellent ça la méthode Coué, je ne les contredis pas mais je les emm**de

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Je vais terminer par une autre évolution majeure dans ma gestion de la maladie : celle du suivi médical et du traitement. J'ai commencé avec le Dr Goût (il est aujourd'hui professeur, à ce que j'en ai vu) à la Fédération de Neurologie de la Pitié-Salpêtrière (Pr Agid, Pr Lyon-Caen). Autrement dit, si je voulais plus calé que cet endroit sur la sep, ça existait peut-être, mais pas en France. Fin 1995, date de mon diagnostic, les interférons bêta (Avonex, Betaseron) étaient en pleine phase de lancement, je crois que le Betaseron avait été lancé deux ans plus tôt et que l'Avonex attendait encore une AMM imminente, ou alors le contraire. Le Dr Goût m'avait alors dit que j'entrais dans le profil pour ces traitements, mais que comme d'une part on manquait de recul, que d'autre part il ne fallait pas en négliger les effets secondaires, comme enfin mon état général était encore correct (j'avais alors un EDSS de 1.5, rabaissé à 1 en 2003), il fallait que je réfléchisse bien à la chose avant de franchir le pas. J'ai donc décidé de remettre la décision à plus tard, de prendre le temps de réfléchir, afin de pouvoir juger sur l'évolution de mon EDSS et de l'intervalle qui séparait deux poussées. A ce moment précis, j'étais en pleine poussée et il ne s'était écoulé que quatre mois depuis la précédente, et trois poussées en moins de trois ans : mon avenir était plutôt sombre...
Arrivé à Londres j'attendais donc la poussée suivante avant d'aller voir un neuro, or celle-ci est venue beaucoup plus tard que prévu. Quand le moment est venu j'ai fait le choix d'un "neurologue de ville", feu le Dr Frank Clifford-Rose sur Harley Street, auteur de livres à succès sur la sep, le Gilderoy Lockart des neurologues (pas de meilleure description possible, j'invite ceux qui n'ont jamais entendu parler de ce dernier à le googler). La poussée était réelle, démontrée à l'IRM par la prise de contraste au gadolinium, mais, à la différence de la précédente, relativement modérée et dont les symptômes ont disparu en quelques semaines. Pas de traitement par corticostéroides car je m'y prenais trop tard : j'apportais à Clifford-Rose une lettre que la Salpêtrière avait pris la peine de traduire en anglais, je n'avais pas envisagé qu'il voudrait me diagnostiquer complètement une deuxième fois avant toute chose

. Clifford-Rose m'avait énervé, je ne l'ai plus revu et je n'ai pas approfondi avec lui la question du traitement éventuel. En arrivant à Genève en 2003 j'ai choisi à nouveau un neurologue de ville, mais cette fois sans attendre la poussée suivante et sur des critères plus... rigoureux : celui qui avait son cabinet le plus près de chez moi. Ce docteur a à nouveau remis la question du traitement sur le tapis et j'ai donc jugé utile d'aller redemander au Dr Goût ce qu'il en pensait : "c'est vous qui voyez" (sic).
D'après ce que j'avais compris à l'époque, les traitements les plus efficaces réduisaient d'environ un tiers la fréquence des poussées, ils apportaient donc un avantage indéniable sur le confort de vie général de la phase RR... dans la mesure où j'aurais trouvé mes poussées trop rapprochées, ce qui était de moins en moins le cas. Par ailleurs, sans même m'attarder sur les effets secondaires, ces traitements impliquaient des injections régulières et fréquentes (ça a dû s'améliorer un peu depuis), c'est à dire qu'avec un tel traitement, pour le coup j'aurais vraiment eu l'impression d'être malade, alors qu'en l'absence de traitement... Enfin et surtout, toujours d'après ce que j'avais compris, là aussi ça a peut-être changé depuis, si ces médicaments réduisaient de fait statistiquement la fréquence des poussées, ils n'avaient en revanche pas d'effet démontré sur un éventuel retardement du passage du stade RR au stade SP (il était plutôt question de leur absence d'effet là dessus...), ni aucun effet statistique démontré non plus sur le pronostic à long terme ou l'espérance de vie (idem, on parlait d'absence d'effet).
Et c'est là qu'il devient peut-être pertinent de se demander ce qu'un neurologue, fusse-t-il le meilleur, peut pour son malade... Le bon neurologue aura une connaissance statistique étendue de la maladie, il saura lire immédiatement une IRM, il connaîtra les différents traitements disponibles, aussi bien "de fond" que symptomatiques, leurs effets primaires comme secondaires, il saura diagnostiquer la maladie... mais même le meilleur des meilleurs restera dans l'ensemble incapable de pronostiquer son évolution au patient qu'il a en face de lui. Il pourra certes s'essayer à des "trucs", généralement statistiques : une sep qui se manifeste initialement sous une forme purement sensorielle (NORB, paresthésies, etc.) présentera une plus forte probabilité d'être bénigne sur le long terme, "mais dans votre cas, on ne peut rien garantir" ; une sep qui se déclare à un jeune âge aura volontiers une évolution plus lente qu'une sep qui se déclare plus tard, "mais dans votre cas, on ne peut rien garantir" ; certains neurologues d'avant-garde pourront aussi s'essayer à tenter un pronostic sur l'analyse comparée d'IRM successives, hocus pocus ! Tout ceci, rapporté au cas du patient qu'il a en face de lui, et non plus à des connaissances statistiques générales, relève plus du jeu de hasard que de la médecine.
Arrivé à ce stade, je suis perdu dans mes réflexions

. Je ne suis plus suivi par un neurologue depuis que mon neuro suisse m'a déclaré "guéri" (à quoi bon aller voir un docteur si celui-ci ne vous considère même pas comme un petit peu malade ?), depuis 2010 j'ai confié le bébé à mon généraliste de famille et cela me convient tout à fait. 25 années se sont écoulées depuis mon déclenchement d'une forme RR de sep, la durée médiane pour basculer de RR à SP est d'à peu près 20 ans, ce n'est pas cinq années de plus qui vont me faire sortir de la courbe de Gauss. On verra bien quand je basculerai SP, et d'ici là...
J'espère ne pas trop vous avoir emmerdé, ça m'a fait du bien de remettre tout ça en place, je ne l'avais jamais fait. Merci de m'avoir lu

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Jean-Philippe.